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Au moment où Lupasco publie ses premiers livres, en 1935, on assiste au déclin d'une certaine philosophie des sciences, classique et rationaliste, comme à celui des divers irrationalismes qui avaient cherché à la remplacer. Les vingt années suivantes allaient être occupées, d'un côté par une courant hégéliano-marxiste, dont on peut dire qu'il n'a rien produit sinon d'excellents ouvrages sur Hegel et sur Marx, de l'autre côté par la phénoménologie et ses dérivés, ultime tentative pour philosopher en dehors de toute information, scientifique ou autre. Or, comme on le lira plus bas sous la plume de l'auteur : « Nous sommes aujourd'hui dans cette scabreuse situation : aucune théorie, aucune conception, de quelque ordre qu'elle soit, n'est vraiment plus possible dans l'ignorance des données de l'expérience scientifique, qui submerge tout, et, d'autre part, nous ne pouvons guère puiser dans les acquisitions théoriques de la connaissance constituée, parce qu'elles n'y répondent plus. »
Lupasco apporte donc une nouvelle théorie de la connaissance, mais élaborée à partir d'une étude effective des développements récents de la science et de leurs implications théoriques. On observe souvent que les divers spécialistes ne prennent pas conscience nécessairement de la portée de leurs propres découvertes, et continuent de les interpréter au moyen de systèmes intellectuels périmés, d'abord parce qu'ils ne les rapprochent pas des découvertes faites dans d'autres spécialités, ensuite parce que les savants ont eux-mêmes leurs préjugés philosophiques. Mais il ne suffit pas de le constater pour avoir la compétence d'y remédier. L'audace de Lupasco ne consiste pas à prendre des libertés avec les connaissances rigoureuses, mais à montrer qu'elles ne sont encore pas assez rigoureuses. Dans ce sens, la philosophie des sciences n'est pas un commentaire extérieur à la science, elle en fait partie, elle est l'organisation conceptuelle de la science elle-même.
Or chose curieuse, ce n'est pas au niveau de la vulgarisation banale, que le lecteur non spécialiste peut se faire une idée de la vision du monde qui se dégage des développements récents de la physique et de la biologie, c'est au contraire au niveau le plus élevé, au niveau de l'élaboration la plus poussée des conséquences générales de ces développements. Le présent livre en est la meilleurs illustration. Dans sa clarté exemplaire, à travers l'exposé rigoureux de ses principes logiques, c'est toute la masse des connaissances acquises depuis le début du siècle qu'il ranime, pour ainsi dire, en montrant tous les éclairages nouveaux que ces connaissances projettent sur le cosmos, sur la vie, sur l'homme. Après l'exposé axiomatique, déductif et abstrait de sa logique dans Le principe d'antagonisme et la logique de l'énergie (1951), Lupasco, dans ces Trois Matières, applique cette logique aux divers domaines concrets de la science, de la physique à la psychologie. De tous ses livres, c'est en somme le premier qui, dans sa brièveté, présente une synthèse de l'ensemble de sa pensée, à la fois dans ses principes et dans la diversité infiniment suggestive et variée de ses applications.
Les quatre chapitres qu'on va lire comportent certaines répétitions. Nous avons estimé qu'elles ne se nuisent pas, bien au contraire, car tous les thèmes qui y reviennent s'éclairent, à chaque fois, et éclairent eux-mêmes le contexte général, de nuances, de précisions nouvelles.
L'Éditeur (Julliard) 1960