Toxicité et efficacité antitumorale de
l’oxaliplatine sur l’ostéosarcome de Glasgow induit chez la souris : un modèle
mathématique pour la chronothérapeutique
J. Clairambault*, D. Claude**, E. Filipski***, T. Granda***, F. Lévi***
* Université
Paris VIII, INRIA-Rocquencourt et INSERM EPI 0118
** Université
Paris-Sud, CNRS-Supélec, INRIA-Rocquencourt et INSERM EPI 0118
***INSERM EPI 0118
Cadre
de cette étude de modélisation
•
But
: fournir au clinicien un outil lui permettant éventuellement d’améliorer
l’action d’un médicament administré par voie parentérale sur sa cible tout en
contrôlant sa toxicité sur les organes sains
•
Prendre
pour cela en compte l’existence d’une sensibilité au médicament différente
selon l’heure d’administration, tant pour la cible que pour l’organe sain
•
Ne
compter sur aucune donnée de spécificité de phase du cycle cellulaire du
médicament, mais seulement sur les données empiriques de l’expérimentation
animale ou de la clinique
•
Paradigme
choisi : traitement par l’oxaliplatine de l’ostéosarcome induit chez la souris
B6D2F1 et contrôle de sa toxicité sur la muqueuse jéjunale (tissu à
renouvellement rapide)
Plan
de l’exposé
Construction
du modèle
•
Hypothèses
physiologiques, données de la littérature
•
Mesures
disponibles au laboratoire
•
Équations
du modèle : diffusion et action du médicament, renouvellement de la muqueuse
jéjunale, croissance tumorale
•
Identification
des paramètres du modèle
•
Simulation
en SCILAB
Résultats,
implications possibles en clinique
•
Visualisation
d’une cure-type
•
Soins
curatifs « agressifs » : recherche du meilleur schéma
thérapeutique (phase d’injection, durée, loi de commande : créneau, sinus,
dents de scie)
•
Soins
« peu toxiques » : recherche, pour une toxicité maximale fixée, du
meilleur schéma thérapeutique (priorité à la qualité de vie)
•
Résumé
des résultats
•
Perspectives
d’application en clinique et
d’amélioration du modèle
Hypothèses
physiologiques, données de la littérature
•
L’oxaliplatine
injectée par voie IV ou IP diffuse (Pt libre) suivant une cinétique d’ordre 1 d’abord dans le compartiment plasmatique, puis
de là dans les compartiments du tissu sain et, en parallèle, de la tumeur ; la
liaison de l’oxaliplatine aux molécules cibles est irréversible
•
L’action
du médicament est représentée par une fonction
d’efficacité (fonction de Hill)
venant inhiber la croissance de la population cellulaire dans chaque
compartiment (sain et cible)
•
Hors
traitement, la tumeur suit une
croissance de type gompertzien :
croissance initiale exponentielle, puis convergence vers un plateau
•
Dans
le compartiment tumoral, il peut exister une fraction de cellules développant
une résistance au médicament
(Goldie-Coldman)
•
Hors
traitement, l’élimination de cellules matures des villosités jéjunales dans la lumière intestinale est exactement
compensée (équilibre stable) à tout
instant par l’afflux de cellules jeunes en provenance des cryptes
•
Dans
la muqueuse jéjunale, seules les cellules de la crypte sont supposées sensibles
au médicament, les cellules (matures) des villosités n’étant considérées
qu’affectées par contrecoup
Mesures
disponibles au laboratoire
•
Données
publiées du laboratoire pour la mesure des paramètres de diffusion de
l’oxaliplatine et de l’heure optimale
d’injection (=donnant le plus petit
poids tumoral à 14 ou 21 jours) chez des souris BDF
•
Mesure
du poids tumoral en fonction du temps (jours) de souris BDF porteuses d’un
ostéosarcome de Glasgow sans traitement
•
Mesure
du poids tumoral en fonction du temps (jours) de souris BDF porteuses d’un
ostéosarcome de Glasgow avec traitement par 4 injections (en bolus, à 2 doses
distinctes) d’oxaliplatine à 24 h d’intervalle, et à différentes heures
d’injection
Le
modèle : 1/ concentration en Pt libre (« PK »)
•
dP/dt
= -l P + i0(t)/V (P = concentration
plasmatique)
•
dC/dt
= -m C + P (C = concentration dans le tissu sain)
•
dD/dt
= -n D + P (D = concentration dans la tumeur)
•
Loi
de commande i0(t) = débit (en mg/h) de médicament injecté au temps t , la fonction t
--> i0(t) (loi de commande) étant
périodique, a priori en « créneau », mais aussi sinusoïdale,
en dents de scie, etc.
•
V =
volume de distribution (en mL) ; l,m,n :paramètres de diffusion calculés à partir de la
demi-vie (ln 2 / demi-vie), connue ou estimée, du médicament dans chaque
compartiment
Le
modèle : 2/ fonction d’efficacité du médicament (« PD »)
•
Fonction
de toxicité dans le tissu sain : f(C) = F . [C/CS50]gS/(1+[C/CS50]
gS) .{1+cos 2p(t-fS)/T}
gS = coefficient de Hill ; CS50 =
concentration de demi-toxicité-maximum T = période des variations de la sensibilité au médicament (24 heures) ; fS = phase
de toxicité maximum du médicament ; toxicité maximum = 2.F
•
Fonction
d’efficacité dans la tumeur : g(D) = H . [D/DT50]gT/(1+[D/DT50]
gT) .{1+cos 2p(t-fT)/T} gT = coefficient de Hill ; DT50 =
concentration de demi-efficacité-maximum T = période des variations de la sensibilité au médicament (24 heures) ; fT = phase
d’efficacité maximum du médicament ; efficacité maximum = 2.H
Le
modèle : 3/ population des entérocytes
•
dA/dt
= Z - Zéq (A = nb. de
cellules portées par les villosités)
•
dZ/dt
= -[a +f(C)] Z - b A +
g (Z = nb. de cellules par unité de temps venant migrer des cryptes vers les villosités ; Zéq = cette valeur à
l’équilibre)
•
g est une constante positive, a une constante positive
représentant un taux naturel d’inhibition par autorégulation, et b une constante positive représentant une
« chalone » (inhibitrice de la mitose dans les cryptes) en provenance
des villosités
•
En
fait, ce système n’est que l’approximation
linéaire d’un système inconnu au voisinage du point d’équilibre [b-1. (-a Zéq + g) , Zéq ], l’approximation étant valide à cause de la stabilité de cet équilibre (en cas de
perturbation brutale, retour à l’équilibre avec des oscillations amorties, cf.
Wright & Alison)
Le
modèle : 4/ population tumorale
•
dB/dt
= -a.B.ln(B/Bmax )- g(D)
. B . (1+Bq)/2 (B = nb.
de cellules tumorales)
•
Bmax
= B0 . eG/a, valeur asymptotique (=maximale) de B
•
G
(>0) exposant de croissance initiale
•
a=
exposant de tempérance gompertzien (hors traitement, dB/dt=G.e-a(t-t0).B)
•
B.(1-Bq)/2 = population des
cellules résistantes selon Goldie-Coldman,
où q est -2 fois la probabilité pour une cellule tumorale de devenir résistante
Le
modèle au complet : 6 variables d’état
•
dP/dt
= -l P + i0(t)/V
•
dC/dt
= -m C + P
•
dD/dt
= -n D + P
•
dA/dt
= Z - Zéq
•
dZ/dt
= -[a + f(C)] Z - b A +
g
•
dB/dt
= [-a.ln(B/Bmax) - g(D) .
(1+Bq)/2] B P : concentration en médicament dans le
compartiment plasmatique C : concentration en médicament dans le
tissu sain (jéjunum) D : concentration en médicament dans la tumeur A : nombre d’entérocytes matures
(villositaires) Z : flux par unité de temps d’entérocytes
jeunes provenant des cryptes B : nombre de cellules tumorales
Identification
des paramètres
•
La
dose quotidienne de médicament injectée a été fixée à 60 mg de platine libre (correspondant à 5,1 mg/kg/j
d’oxaliplatine pour une souris de 30 g)
•
Paramètres
de diffusion (V, l, m, n) :
données du laboratoire
•
Phase
d’injection optimale (d’où fS et fT) : données du laboratoire
•
Fait
d ’observation au laboratoire : phase d’efficacité antitumorale maximale fT et phase de toxicité minimale pour le tissu sain 12 +
fS coïncident
•
gS
et CS50 , gT et DT50 : aucun renseignement ; gS et gT
arbitrairement fixés à 1, CS50 et
DT50 fixés à une valeur élevée (10) de façon à ramener
(provisoirement ?) les fonctions d’efficacité dans la zone linéaire
•
Point
d’équilibre [b-1.
(-a Zéq + g) , Zéq
], période (6 j) et facteur d’amortissement des oscillations (1/3) de la population des entérocytes fixés
d’après les données de la littérature (Potten et al.) : d’où a, b, g
•
F
et H, G et a, déterminés d’après les courbes du laboratoire ( G et a de
Gompertz : 2 types de tumeur : explosive ou lente), q fixé à 0 ou à -0.002
Diverses
lois de commande considérées
Simulation
du modèle en SCILAB
•
Programmation
en SCILAB sous linux (linuxppc sur Macintosh G3)
•
Unité
de temps : l’heure, repérée par rapport à un jour 1 à 0 hadl (heures après le
début de la lumière) ; pas d’intégration
= 0.1 heure ; temps total représenté : jusqu’à un mois (éventuellement plus) de
traitement
•
Intégration
du système d’équations différentielles à partir du début du traitement, avec
interruption à chaque saut de discontinuité (ceci pour les lois de commande en
créneau ou en dents de scie ; pas nécessaire pour une loi sinusoïdale)
Oscillations
de la population des entérocytes
(hors
traitement, en réponse à une agression radiotoxique ou cytotoxique localisée)
Oscillations
de la population des entérocytes
(hors traitement, en réponse à une
agression radiotoxique ou cytotoxique localisée)
SCILAB
: visualisation des variables
Une
cure-type 5+16+5
(chronomodulation
en créneau optimale)
Une
cure plus agressive : 5+5+5
(chronomodulation
en créneau optimale)
Détail
d’une cure de 5 jours
(chronomodulation
en créneau optimale)
Détail
d’une cure de 5 jours
(par
comparaison : perfusion constante)
Détermination
du meilleur schéma thérapeutique
(situation de soins curatifs « agressifs
»)
•
Critère
: pour une dose quotidienne fixée à 60 mg/j de Pt libre (5.1 mg/kg/j d’oxaliplatine), obtenir
le plus petit nombre de cellules tumorales à l’issue du traitement (en
s’autorisant à descendre passagèrement assez bas dans la population des
entérocytes matures : jusqu’à 40 % de la population initiale)
•
Pour
la loi de commande de référence (le « créneau »), le meilleur
résultat (4 cellules tumorales résiduelles sur 106 initiales) est
obtenu avec une durée de perfusion effective de 5 heures et une phase de début
de perfusion à 12 hadl
•
Le respect de la phase optimale
d’injection est essentiel :
une perfusion constante fait moins bien (16 cellules) qu’un schéma chronomodulé
en créneau à la phase d’injection optimale 12 hadl (4 cellules), mais mieux que
le même à la phase la moins bonne 0 hadl (52 cellules)
•
Mais
le meilleur résultat (3 cellules tumorales résiduelles) pour la même dose
quotidienne a été obtenu soit avec une loi en dents de scie G sur 2 heures débutant à 14 hadl , soit avec une loi
« sinusoïde pointue » sur 5 heures
débutant à 12 hadl
Détermination
du meilleur schéma thérapeutique
(situation de soins « peu
toxiques »)
•
Critère
: en ne s’autorisant pas à descendre
en-dessous d’un seuil donné (arbitrairement fixé à 60 % de la population
initiale), obtenir le schéma thérapeutique qui permet, en faisant varier les
doses quotidiennes de médicament, d’obtenir le plus petit nombre de cellules
tumorales en fin de cure
•
Le
meilleur résultat ( 516 cellules tumorales résiduelles sur 106
initiales) a été obtenu pour la loi en dents
de scie D, avec une durée de perfusion d’1 heure et une phase de début à 14
hadl, autorisant la perfusion d’une dose maximum de 45 mg/j
•
Avantage : fait mieux que la perfusion
constante qui, pour la même
toxicité limite, impose de ne pas dépasser
la dose de 34 mg/j (2626 cellules tumorales résiduelles)
Respect
de la muqueuse jéjunale
(situation de soins « peu
toxiques », loi de commande en dents de scie D)
Résumé
des résultats
•
Schéma chronomodulé optimal >
perfusion constante > schéma chronomodulé « le pire possible » (4 cellules tumorales résiduelles sur 106
< 17 sur 106 < 52 sur 106)
•
En
situation de soins curatifs « agressifs » , la meilleure loi de
commande est la perfusion en dents de
scie G sur 2 heures (mais elle est mal supportée en clinique) ; la loi « sinusoïde pointue » donne sur 5 heures un résultat presque aussi
bon
•
En situation de soins « peu toxiques »,
un schéma chronomodulé (la loi
en dents de scie D sur 1 heure a été trouvée la meilleure) permet, pour la même toxicité, d’augmenter la dose quotidienne (par
rapport à la perfusion constante) et, par là, d’améliorer l’efficacité
antitumorale
Perspectives
d’application du modèle en clinique
•
Bi-
ou trithérapie (L-OHP + 5FU + CPT11), en thérapeutique actuelle : nécessité de
l’adjonction d’autres médicaments
(supposés actifs sur les cellules tumorales résistantes à
l’oxaliplatine), comme variables dynamiques supplémentaires
•
Différents
profils de croissance tumorale (lents ou rapides) sont observés en expérimentation
animale et en clinique : nécessité d’une adaptation
individuelle des schémas thérapeutiques chronomodulés
•
Problème
de l’identification des paramètres du modèle : croissance tumorale (G, a de
Gompertz) et réponse au traitement (fonctions d’efficacité et de toxicité),
avec peu de données cliniques
longitudinales, surtout avant traitement
•
Mais
ce sont avant tout des résultats
qualitatifs ou semi-quantitatifs (meilleure forme du schéma thérapeutique,
meilleure heure de début, durée optimale) qui sont attendus en clinique : il
n’est donc pas nécessaire d’identifier tous les paramètres
Perspectives
d’amélioration du modèle
•
Prise
en compte de la phase du cycle
cellulaire (spécificité de phase de nombreux médicaments anticancéreux) et
de de la synchronisation dans le
cycle des cellules d’un même tissu, sain ou tumoral
•
Introduction
d’un modèle (spatial) de type réaction-diffusion
pour la croissance tumorale et son inhibition par la thérapeutique :
concentration en cellules tumorales, en nutriment, en médicament cytotoxique
•
Représentation
physiologique de la chronosensibilité aux médicaments cytotoxiques par
l’utilisation d’un modèle « moléculaire » de l’horloge circadienne et
de ses actions cellulaires périphériques