Critique des documents sur les thésards


François OLLIVIER

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Voici quelques réaction à chaud aux documents concernant les thésard envoyés par J. Kister et O. Pascault et que j'ai reçu par courrier électronique. Une première version qui ne différait que par des fautes plus nombreuses a été diffusée par le même canal.

Résumé. Où l'on insiste sur l'importance d'un style neutre et mesuré lorsqu'on n'exprime plus de manière interne son opinion personnelle, mais qu'on diffuse vers l'extérieur celle du syndicat. Où l'on insiste lourdement sur l'importance de ne pas réintroduire dans nos lignes, même de manière prétendument ironique des expressions toutes faites qui véhiculent une idéologie que nous ne pouvons que combattre.

Tout d'abord, en page 2 ligne 3 du document "Mesures d'urgence...", on lit <<... cette situation désastreuse pour un pays comme le nôtre...>>. La j'aimerais bien qu'on m'explique comment c'est un pays comme le notre. Malheureux pays différents du nôtre où le chômage n'est pas un désastre mais s'intègre sans doute à la culture locale.

Halte au mépris ! Halte au nationalisme !

Ensuite, p. 1 l. -10, << trop de doctorant mènent leurs recherches sans aucun financement >>. Tant qu'à faire, au chapitre du corporatisme... Certes, le système de financement des thèses est déficient, mais au moins il existe. La situation n'est pas la même dans le 1er et le second cycle universitaire, les école d'ingenieurs, les facs de médecine... Resituons nos revendication dans un contexte global ! Sinon, on ne revendique que pour une élite. L'élitisme c'est ca.

<< ...les jeunes docteurs qualifiés attendent un emploi scientifique mérité après des années de sacrifice consentis a étudier puis a mener leur thèse... >> Bon, heureusement qu'il y a l'adjectif scientifique pour arondir les angles, mais en lisant ça, on a des doutes... On revendique un emploi pour tous, ou pour les <>, ceux qui se <> ? Quel est ce style mélodramatique ridicule ?

Pour moi, étudier, ça n'a jamais été un sacrifice. Et en toute franchise, à ceux qui ont des relations si conflictuelles avec les études, je déconseille vivement de rester dans la recherche.

En page 2, nous sont expliqués les deux causes majeures de la situation précaire des doctorants. On glisse gentiment sur <>, sans meme la resituer dans le contexte national du chômage, et particulierement la montée du chômage des cadres et le recrutement de plus en plus difficile des jeunes diplômes toutes catégories confondues.

À cette enseigne, je m'inquiète un peu de voir la CGT <> avec la FSU dans le document <> p. 1, ligne -5. Un statut de salarié pour les thésard, OUI. Un statut de fonctionnaire stagiaire, comme le propose la FSU, NON. Sauf erreur, un fonctionnaire stagiaire est quelqu'un qui a été recruté par concours, et qui a l'issue d'un stage de 12 ou 18 mois doit etre titularisé de manière quasi automatique.

Ou bien, on remet en cause la titularisation quasi automatique des fonctionnaires stagiaires, et c'est grave, ou bien on admet que le recrutement dans la recherche publique se fera, avant la thèse, au vu de résultats purement scolaires, et c'est aberrant.

D'autre part, si la FSU pense que << On ne doit pas céder aux exigence des entreprises sur le contenu de la formation, c'est à elles de faire l'effort de proposer des débouches aux jeunes docteurs.>>, des representants d'un syndicat confédéré comme le nôtre devraient avoir avoir un point de vue moins étroit. Tant qu'à faire, à la FSU, puisqu'ils savent comment faire avec le patronat, qu'ils leur demandent de créer des débouchés pour tout le monde et pas seulement pour les jeunes docteurs. Vu qu'on a le sens du Sacrifice dans la recherche, on pourrait aussi avoir celui de la Charité pour faire bon poids. Les stigmates me poussent.

Soyons sérieux. Nous sommes hostiles a la transformation des laboratoires en bureau d'étude, au service des industriels. Les thèses doivent donc garder leur caractère scientifique, même en science appliquée. Bien. Cela dit, si l'on veut vraiment que les entreprises prennent l'habitude de recruter des chercheurs, et que plus généralement l'esprit de la recherche se répande dans le secteur privé, ce qui permettrait une meilleure interaction entre recherche et production, on ne peut pas exiger des entreprises un effort unilatéral. Surtout si l'on n'a aucun moyen de pression. À moins bien sur qu'on ne recherche le ridicule. Je pense qu'il est illusoire d'esperer que des docteurs seront systématiquement employés, parce que le thème de leur thèse correspondait tres précisement a l'activité d'une entreprise. J'ai vu toutefois quelques cas de thèses en collaboration avec le privé qui se sont suivi par une embauche. Mais une vraie thèse, avec un contenu scientifique patent. Car les entreprises ne quitent leur filieres de recrutement traditionnelles (école d'ingénieur, etc.) que pour rechercher des savoir-faire que celles-ci sont incapables de leur procurer. Encore faut-il qu'elles puissent en ressentir le besoin.

Personnellement, je n'ai pas d'atome crochu avec la propriété privée des moyens de production. Mais en matérialiste convaincu, je suis tres interessé par les aller-retour entre le monde réel et le travail théorique. Et dans l'attende eschatologique d'un renversement de l'ordre social etabli, on n'a pas grand choix pour les interlocuteurs. N'oublions pas qu'on n'a non plus beaucoup de moyens de diffuser une découverte scientifique. C'est parfois si difficile de convaincre des collègues à qui ca ne coute qu'un peu d'effort d'améliorer leur maniere de faire. Alors, quand la diffusion passe par la sphère commerciale... Dans certains secteurs technologiques, comme le matériel medical, notre pays est tristement désertique, hormis des petites boites qui manquent cruellement de capitaux. Sans parler de la sécurite sociale dont la politique de restriction étouffe le marché intérieur.

À titre d'élément de réflexion, le GDR Automatique, qui évolue dans un domaine très appliqué (en principe), a fait un sondage sur les attentes des industriel en matiere d'avancées scientifiques dans leur secteur. Résultat : néant. Les industriels n'en attendent rien. L'emploi des docteurs en est fortement compromis, mais aussi à plus long terme le sort d'une communaute scientifique dont l'existence ne se justifie (en principe) que par les applications de ses travaux. Une conséquence est que cerrtains thesards abandonnent au bout de quelques mois. En effet, les bourses de thèse offrent une possibilité commode de financer la recherche d'un premier emploi, à l'issue d'une école d'ingenieur. En revanche, de jeunes ingénieurs qui se decouvrent une vocation pour la recherche apres un passage par l'entreprise, n'ont plus accès aux bourses.

N'oublions pas que s'il est juste de revendiquer un financement et un statut specifique pour les thésard, le travail de thèse est et doit rester une composante du système éducatif, dans le cadre d'un droit à l'éducation, à la formation et à la culture que nous souhaitons le plus ouvert pour tous. Nous devons donc aussi nous soucier de ceux qui n'ont pas besoin de chercher un financement, parce qu'ils preparent une thèse en travaillant. Ou des RMIstes a qui les études universitaires sont interdites ! Tiens, les gusses de la FSU pourraient revendiquer quelques avantages pour les enseignants qui préparent une thèse : au minimum le droit de demander des aménagement d'horaires pour assister à un cours ou a un séminaire. Meme pour préparer le CAPES et l'agreg on n'obtient d'aménagements qu'en fonction du bon vouloir des chefs d'etablissement. C'est a dire rarement.

Une annecdote : un enseignant demande a son chef d'établisement de n'avoir pas cours le mardi matin pour suivre un seminaire dans le cadre de son travail de thèse. Refusé ! L'année suivante, il réitère sa demande, car dans son quartier c'est le jour du marché. Plus de problème !

En ce qui concerne les PRAGs à l'université, je doute qu'il soit envisageable de leur faire à tous passer des thèses. Quant à assimiler leur statut à celui des maîtres de conf... NON. Il y a une reflexion de fond à avoir sur le recrutement universitaire. Faut-il être chercheur pour enseigner en premier cycle universitaire ? Si la réponse est oui, alors il faudrait que les enseignants des classes préparatoires fassent eux-aussi de la recherche. Ce qui est sur, c'est que la proportion croissante de docteurs parmis les agrégés contribuera à enrichir l'enseignement de nombreuses disciplines.

Je ne m'etendrai pas sur le sujet, mais nous aurions besoin d'une sérieuse reflexion sur l'université, et pas seulement en terme de moyen et de recrutement, mais aussi du point de vue de son rôle. On ne peut pas ricaner indéfiniment de ceux qui dénoncent trop de thèses ou trop de DEA. On ne peut pas éluder tous les problèmes, uniquement pour contredire les déclarations du CNPF. Il y a une réelle hypertrophie d'une partie de l'université qui ne sert qu'à diminuer artificiellement le chômage des jeunes. Mais le CNPF ne s'étend pas sur ce sujet. Il tient à la paix sociale.

Il y a des DEA en province, ou l'on trouve autant de cours différents que d'inscrits. De tels DEA ne servent qu'a alléger le service de ceux qui y enseignent --- et ne militerons jamais pour la réduction du temps de travail, car il faut choisir : combines individuelles ou action collective. Il y a aussi ceux qui ont pléthores de thésard et pas un sujet correct à leur donner. Car on ne peut pas juger du nombres de thèses uniquement sur des critères sociologico-nationalistes comme le nombre de docteurs par tête de pipe, comparé a celui d'autres pays <>. Encore faut-il avoir des idées. Et des possibilités réelles d'encadrement. Si l'on appliquait strictement, comme il le faudrait, des normes minimales en matière d'encadrement des thèses, incluant le nombre et la disponibilité des encadrants, mais aussi les debouchés, le nombre de thèse diminuerait sans doute au moins à court terme.

Je connais quelqu'un qui travaille comme caissière dans un grand magasin apres un DEA de chimie. Apres deux ans, aucun étudiant du DEA n'avait trouvé d'emploi dans la chimie. Certains poursuivaient des thèses : avec quelles perspectives ? Que devient la recherche lorsque l'obtention d'une bourse de thèse ne fait que reculer la perspective du chômage ? Faut-il reclamer plus de poste de maîtres de conférence pour des filières totalement saturées ?

En conclusion, je n'ai aucune réserve sur le fond de notre revendication d'un statut de salarié pour les thésards. Mais il faut prendre garde de ne pas la déservir par un ton corporatiste, voire nombriliste qui passe les limites du ridicule. J'ai gardé pour la fin les dernières lignes du document " Mesures d'urgence... " :

<< Enfin nul ne peut savoir ce qu'il adviendrait de l'histoire d'un pays qui ne consentirait pas un effort notoire en faveur de sa jeunesse ! D'autant plus que celle-ci consent elle aussi à supporter des sacrifices en années et en labeur à travailler une thèse, avec le coeur serré d'un avenir professionnel embrumé. >>

Un effort de simplicité dans la rédaction faciliterait le respect de la syntaxe, et ne nuirait pas à notre crédibilite. Halte à la langue de bois ! Si ce texte a été remis au ministère, espérons qu'ils l'ont mis directement aux oubliettes. Certains passages rappellent la croisade des internes. À la place du ministre, je les ferais aussitôt publier dans un journal satirique. Non, j'attendrais pour le faire une meilleure occasion.

On a vraiment l'impression que toute la jeunnesse francaise est occupée à passer une thèse ! Toujours sympa pour les illettrés.

Une derniere annecdote. Un ami chauffeur a conduit un énarque qui durant tout le voyage l'a entretenu de ses difficultes financières. Mon ami qui gagnait moins que les remboursements d'emprunt de l'autre n'a pas vraiment compati.